Banquise et babyfoot avec les mamies rock de Turakie

Avec ce spectacle, le Turak Théâtre nous emmène dans son pays imaginaire à la rencontre des personnages qui l'habitent. Pour cette nouvelle étape du voyage, le public a rendez-vous avec 7 sœurs de Turakie, sept femmes espiègles, complices et artistes à leurs heures...

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
6 mn de lecture

C’est la première fois que nous vous parlons d’un spectacle de marionnettes sur Snobinart, et avis aux amateurs : ce n’est sans doute pas la dernière. Nous avons assisté à la première représentation au Théâtre Molière de 7 sœurs de Turakie, la nouvelle étape poétique du Turak Théâtre. Et le moins que l’on puisse en dire, c’est que cette forme-là, à la croisée du théâtre d’objets et du cabaret, est aboutie.

Que les choses soient dites, et c’est d’ailleurs ainsi qu’elles sont présentées : la Turakie est un pays qui n’apparaît sur aucune carte. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas joli, ni même qu’il n’existe pas, au moins dans l’imaginaire de ses créateurs et de ses habitants. Des habitants que le public a déjà en partie rencontrés, puisque ce nouveau spectacle vient compléter une salve de créations qui mettent en avant de nouveaux protagonistes à chaque fois.

Ici, ce sont donc sept sœurs, de vieilles femmes aux lèvres retroussées et à l’esprit particulièrement joueur, qui reviennent de leurs voyages respectifs à travers la planète, pour rencontrer le monde (autrement dit, le public). De retour dans leur fief, où leur théâtre en ruine a été mis en vente, elles s’accordent, muettes, pour offrir aux spectateurs un dernier tour de piste. C’est sans doute là le point fort de ce spectacle : dans une succession de numéros à peine reliés les uns aux autres, ressortent la tendresse et la poésie de ces femmes de l’imaginaire. Qu’importe où elles vivent, d’où elles viennent ou même qui elles sont, les sept sœurs, à l’instar de chacun d’entre nous, n’ont qu’une chose en tête : rêver et se divertir.

« Notre mémoire est une banquise sur laquelle les ours polaires jouent au babyfoot. »

Pourtant, même en Turakie, certains éléments nous rappellent sans cesse à la dure réalité du monde. Partout plane le spectre de la fonte de la banquise, les traces indélébiles laissées par la race humaine, et cette planète avec laquelle on ne sait plus comment agir : la protéger, s’asseoir dessus ou jouer avec elle comme un ballon… D’ailleurs, l’image du ballon n’est pas anodine. Dans ce pays de l’absurde, on vénère comme une légende l’objet babyfoot. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, cette métaphore de la figurine que l’on fait tourner à l’envi pour taper dans une balle s’avère pleine de sens… De manipulation en manipulation, on a l’impression d’ouvrir l’une après l’autre des matriochkas qui posent insidieusement la question : qui est la marionnette de qui, dans cet univers ?

Même les marionnettistes s’amusent à casser les codes de la marionnette en agissant parfois à découvert, interrompant de fait les vieilles femmes de Turakie dans leur élan. On ne sait plus vraiment si les manipulateurs sont là pour donner corps à leurs marionnettes, ou si celles-ci servent uniquement de prétexte à donner libre cours à leurs imaginaires d’adultes. Et c’est toujours plaisant de voir les lignes bouger, surtout quand elles sont évidemment maîtrisées.

Certes, le spectacle peine parfois à trouver son rythme en laissant de temps à autre un instant de flottement. D’accord, on pourrait se passer du seul personnage doué de parole qui tient lieu de maître de cérémonie et dont les interventions ne sont pas toutes pertinentes. Mais le Turak Théâtre propose néanmoins une forme incontestablement aboutie, dans un univers visuel qui invite à l’enchantement. Les décors, comme les marionnettes et les accessoires, sont de grande qualité et réalisés avec soin. Les idées fusent chez Emili Hufnagel et Michel Laubu pour surprendre et émerveiller, sur la base d’une ingénierie épatante de bric et de broc, comme pour boucler la boucle d’un sujet environnemental qui, décidément, n’est jamais très loin. À croire que la Turakie n’est pas si différente de nos pays du réel.

A (RE)VOIR
– Le 21/04/23 au Théâtre de Nîmes (en co-accueil avec Le Périscope)

ECRITURE ET MISE EN SCENE
EMILI HUFNAGEL, MICHEL LAUBU
AVEC
CHARLY FRENEA, AUDRIC FUMET, SIMON GIROUD, CAROLINE CYBULA, MICHEL LAUBU, PATRICK MURYS
DRAMATURGIE
OLIVIA BURTON
REPETITRICE
CAROLINE CYBULA
CREATION LUMIERE
PASCAL NOEL
REGIE GENERALE
CHARLY FRENEA
REGIE PLATEAU
CHARLY FRENEA, AUDRIC FUMET
REGIE LUMIERE
SEBASTIEN MARC
REGIE SON ET VIDEO
HELENE KIEFFER
MUSIQUE
FREDERIC AURIER, PIERRICK BACHER, JEANNE CROUSAUD, FREDERIC JOUHANNET, ANDRE MINVIELLE
CONSTRUCTION MASQUES, MARIONNETTES ET ACCESSOIRES
MICHEL LAUBU AVEC CHARLY FRENEA, LUDOVIC MICOUD TERRAUD, YVES PEREY, FREDERIC SORIA, AUDREY VERMONT, AVEC LA PARTICIPATION DES TECHNICIENS DU TNP
CONSTRUCTION DES DECORS
LES ATELIERS DE LA MAISON DE LA CULTURE DE BOURGES
COSTUMES
EMILI HUFNAGEL AVEC AUDREY VERMONT
FILMS D’ANIMATION
MICHEL LAUBU, TIMOTHY MAROZZI, RAPHAEL LICANDRO, EMILI HUFNAGEL

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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