Au 30e Festival de Marseille, la danse comme un rituel

Pour son premier week-end, le Festival de Marseille investit la cité phocéenne avec une programmation riche et éclectique, à l’image de "Lo Faunal" de Pol Jiménez et "La Nuée" de Nacera Belaza, deux propositions qui abordent le plateau avec dévotion.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
7 mn de lecture

Pour l’ouverture de sa trentième édition, le Festival de Marseille fait se rencontrer artistes confirmés, émergents et amateurs. Après une grande célébration de la danse en guise de premier rendez-vous, rassemblant des classes d’établissements scolaires autour d’un projet à grande échelle porté par Marina Gomes, ce sont Pol Jiménez et Nacera Belaza qui ont pris en main ces premiers jours de programmation. Solo ensoleillé ou groupe fondu dans l’obscurité, si les formes semblent alors s’opposer, une évidence relie chacun de ces projets. Comme abordés par le prisme d’une pratique rituelle, Lo Faunal puis La Nuée semblent s’écrire par le biais du ressenti, à la lisière de l’expérience mystique.

Pol Jiménez, la transe d’un faune

La posture n’est ni celle d’un animal, ni celle d’un être humain. D’ailleurs, contrairement à ce que pourrait induire le titre de la pièce, la musique n’est pas vraiment celle de Debussy. Pour l’heure, la créature à mi-chemin des espèces et des genres se tient quasi immobile, les yeux clos, centrée sur elle-même. Bientôt elle s’animera, lentement, laissant les ondes du collage musical de Jaume Clotet alimenter ses gestes et animer son corps. Alors Pol Jiménez traversera toute une série d’états, puissamment marqués par les traits de son visage investi, se laissant progressivement aller à une forme d’extase qui ne tient pas uniquement de la jouissance.

© Pierre Gondard

Sur les pavés encore chauds de la cour de la Vieille Charité, le contraste s’impose sans mal entre les pierres ocre des hauts murs et la silhouette du danseur enrubanné de blanc. Dans ce cadre, pourtant, les traditions entrent bel et bien en dialogue. Et pour cause, sur le plateau improvisé à ciel ouvert, Pol Jiménez convoque tout son héritage d’artiste catalan. Sans toutefois les reproduire à la lettre, les attitudes, les expressions et les castagnettes comme prolongement naturel des doigts ne trompent pas, d’autant qu’elles sont particulièrement maîtrisées. Comme la composition sonore vient faire vibrer le monument séculaire qui l’entoure, les danses traditionnelles dont s’inspire Lo Faunal se voient donc à leur tour bousculées par une interprétation personnelle et sincère.

Le regard imperturbablement tourné vers lui-même, Pol Jiménez transmet néanmoins son art avec une grande générosité. À la faveur de la proximité qu’il se plaît à créer avec les spectateurs, et tandis que son corps et ses gestes s’agrandissent dans l’espace, l’expérience intime se transforme en une énergie partagée, alors que les basses de la musique continuent de résonner dans la chair. Celle du danseur, en tout cas, se dévoue sans retenue à sa pièce, dans une énergie impressionnante et magnétique.

Nacera Belaza, une prière dans la nuit

Quiconque connaît le travail de Nacera Belaza sait toute l’importance que représente pour elle la recherche de la lumière, notamment dans les ombres qu’elle crée en contraste. Avec La Nuée, la chorégraphe ne fait pas défaut à son identité, loin s’en faut, d’autant qu’elle se lance avec cette création dans une recherche inédite autour de la forme du cercle. Celle-ci s’impose dès les premières images, à peine perceptibles dans la pénombre créée par un unique halo de projecteur à faible intensité. Là, des silhouettes anonymisées par l’obscurité virevoltent, une à une, à la façon de derviches tourneurs qui semblent condamnés à ne jamais s’arrêter. Comme des insectes instinctivement attirés par la source lumineuse, les corps se multiplient par suggestion, leur solitude fait bientôt masse.

© Pierre Gondard

S’appuyant sur une composition sonore entêtante, Nacera Belaza pousse à la concentration pour distinguer les gestes, les déplacements et les intentions de ses interprètes. Ensemble, les danseuses et danseurs forment un groupe qui évolue dans une harmonie toute relative,  de celles qui se lisent dans leur globalité à travers une dynamique et une énergie communes. Car en dépit de leurs évidentes individualités, les silhouettes qui composent La Nuée semblent en quête d’un même objectif, conscient ou non.

Au gré des rapprochements et des éloignements qu’elle opère au plateau, jouant délicatement avec la perception – réelle ou fantasmée – du mouvement, Nacera Belaza semble presque concevoir un espace de prière. Une forme de rapport spirituel s’instaure alors entre les corps organiques et les éléments techniques, comme un dialogue tacite qui unirait définitivement les uns aux autres. La Nuée est de ces pièces qui se recomposent image par image, dans un clair-obscur qui pousse à être attentif au moindre détail, au plateau comme en salle.


Festival de Marseille
Du 12 juin au 6 juillet 2025

Lo Faunal
Création 2024

Réalisation et chorégraphie : Bruno Ramri / Chorégraphie et interprétation : Pol Jiménez / Composition et collage musical : Jaume Clotet / Éclairage : Lucas Tornero / Conception des costumes : Maria Monseny / Confection des costumes : Brodats Paquita / Espace scénique : Bruno Ramri, Maria Monseny / Conception graphique : Sergi Mayench / Distribution : Patty Maestre / Mastérisation : Gerard Porqueres

La Nuée
Création 2024 Kunstenfestivaldesarts

Chorégraphie, conception son et lumière : Nacera Belaza / Interprétation : Paulin Banc, Aurélie Berland, Viivi Forsman, Bastien Gash, Magdalena Hylak, Loreta Juodkaite, Aimée Lagrange, Camille Marchand, Pierre Morillon, Eva Studzinski / Régie générale, son et lumière : Christophe Renaud / Son : Marco Parenti

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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