Depuis des décennies, Vincent Bioulès est inspiré par le Pic Saint-Loup. Une histoire d’amour artistique qui l’a amené à peindre cette montagne des centaines de fois. Comme si le peintre souhaitait percer le mystère de ce lieu, y découvrir pourquoi cette montagne est aussi un reflet de nos émotions. Dans cet entretien, Vincent Bioulès nous parle de cette inspiration naturelle qui l’a suivi dans sa carrière artistique.
Est-ce que vous rappelez votre première rencontre avec le Pic Saint-loup ?
Alors là vous me donnez à réfléchir… Comme je le connais depuis toujours et que j’ai 83 ans (rire). Finalement mes premiers souvenirs d’enfance du Pic Saint-Loup c’était vu du Peyrou, celui que j’apercevais vu des étangs ou de la mer. Une sorte de frontière nord de Montpellier et qui était déjà une montagne mythique. Ce sentiment s’est renforcé par le fait que j’avais un cousin peintre à Aix-en-Provence, Marcel Arnaud, qui m’avait montré la montagne Sainte-Victoire. Pour un peintre c’est une montagne emblématique, c’est celle qui apparaît dans les toutes dernières toiles de Cézanne sous la forme d’une série absolument extraordinaire, c’est l’équivalent de la création du monde. J’ai eu tendance après à regarder le Pic saint-Loup comme ma montagne Sainte-Victoire à moi. J’ai fait d’ailleurs une exposition à Aix-en-Provence qui s’intitulait L’autre montagne et dont la thématique était essentiellement consacrée à des tableaux du Pic Saint-Loup. Ensuite j’y suis allé plus tard, en bicyclette ou accompagné en voiture par des amis et j’ai pris l’habitude de le dessiner. Puis je conduisais moi-même, je prenais ma voiture… J’ai travaillé tout autour du Pic Saint-Loup pendant longtemps. Ça a été pour moi un thème très important.
Après la rencontre physique, il y a eu la rencontre artistique…
Je pense que dans la sensibilité des Languedociens de ma génération ça avait une grande importance. Mes maîtres aux Beaux-Arts de Montpellier, Camille Descossy, Georges Dezeuze… ont fait des tableaux du Pic Saint-Loup. Il y a dans la collection du Musée Fabre une très belle toile de Descossy qui représente le Pic Saint-Loup. C’est une montagne extraordinaire parce qu’elle n’est pas très haute et on la voit d’immensément loin. Il existe un livre de Vidal de la Blache qui s’appelle Description géographique de la France. C’est une description de la France dans laquelle l’habitat n’existe pas, Vidal de la Blache ne s’intéresse qu’à la structure du paysage, et il parle du Pic Saint-Loup en disant que c’est extraordinaire la présence physique de cette petite montagne dans la grande plaine plate du Languedoc. Le Pic Saint-Loup a également une autre particularité, c’est-à-dire que si l’on tourne autour, il ne cesse de changer d’aspect. C’est une montagne qui change d’aspect tous les kilomètres. J’ai fait beaucoup d’esquisses au nord du Pic. Là, quand on est confronté à cette face Nord qui ne voit jamais le soleil, il y a un côté tragique et j’y suis très sensible. C’est une des différences avec la montagne Sainte-Victoire qui est beaucoup plus longue. Le Pic Saint-Loup se dresse comme une question dans le paysage.
Vous l’avez peint un nombre incalculable de fois. Vous dites que c’est une montagne qui change d’aspect selon l’endroit où l’on se trouve, est-ce que vous avez l’impression de ne pas peindre la même montagne à chaque réalisation ?
J’essaye d’être toujours surpris. Parce que quand on peint, on croit savoir faire les choses à l’avance. Quand on est un vieux peintre, on a le sentiment qu’il y a des choses que l’on peut faire les yeux fermés… Et bien ce n’est pas vrai du tout. Rien n’est jamais acquis, et si je retournais cette après-midi au Pic Saint-Loup, je serai confronté à une interrogation et à une somme de difficultés qui fatalement donnerait naissance à quelque chose d’imprévisible, quelque chose de nouveau. Et c’est en cela que le métier de peintre m’intéresse. Parce qu’il nous permet, surtout quand on est vieux et qu’on a tendance à se pencher sur son passé, de construire son futur. Et c’est une expérience qui est stimulante.
Qu’est-ce qui vous a intéressé ou interrogé chez cette montagne ? Les couleurs ? Ou ce côté changeant du Pic Saint-Loup ?
La coloration est à peu près la même qu’il s’agisse de l’hiver ou de l’été. Maintenant il y a beaucoup de vignes, alors les colorations changent des fois avec des vignes dotées d’un vert plus acide et puis de tons rouge et roux d’automne… Mais ce sont des petites surfaces, et le Pic Saint-Loup lui ne bouge pas, il reste toujours dans les mêmes colorations. Mais c’est nous-mêmes qui changeons et traduisons nos émotions successives par des changements colorés qui sont imprévisibles et qui sont aussi la traduction spontanée et irréfléchie de notre émotion.
Au-delà du côté artistique, le Pic Saint-Loup apporte aussi une grande richesse à la gastronomie, au vin… Vous êtes attaché à ce terroir ?
Le dimanche il est envahi par une multitude de gens qui viennent en faire l’ascension (rire). Il est difficile maintenant de parquer son automobile (rire). Oui je suis sensible à ce terroir parce que le Pic Saint-Loup protège la nature. C’est un site qui est protégé, on ne pas construire n’importe quoi n’importe comment. Malheureusement on l’a fait autour de villages délicieux comme Saint-Jean-de-Cuculles… Je ne citerai pas le nom du promoteur qui est connu comme le loup blanc et qui a défiguré très souvent le paysage… Bref… ça s’est arrêté grâce à l’importance qui est donnée maintenant au vin et à la viticulture qui protège le Pic Saint-Loup. Maintenant on boit du Pic Saint-Loup à Paris ! Alors que quand j’avais vingt ans je peux vous dire que ça n’existait pas (rire).
Recueilli par Thibault Loucheux / Photo de couverture : Peter Avondo