Vous n’avez pas souhaité exposer depuis vos deux expositions personnelles au Centre Pompidou en 2014 et au Palazzo Grassi à Venise en 2015. Pourquoi avoir accepté de montrer vos œuvres récentes ici au Musée Paul Valéry de Sète ?
C’était une belle occasion pour moi. Maintenant le temps est court et j’ai peu à vivre, donc c’était l’occasion… C’est-à-dire que j’avais fini mes tableaux, et je voulais les voir réunis. C’était l’occasion de voir ces tableaux réunis et c’est pour ça que j’ai accepté. Le fait d’exposer pour le public ça me touchait moins, mais j’avais personnellement très envie de voir tous ces grands tableaux ensemble parce qu’il y en avait certains qui étaient chez des collectionneurs et les deux grands derniers que j’ai travaillés ces deux dernières années, je voulais les voir avec les autres, voyez-vous. Donc j’ai accepté de bon cœur . Et je suis content du résultat.
Quelle est la singularité de ces œuvres récentes ? Comment s’inscrivent-elles dans votre œuvre ?
Elles sont plus abouties sur le plan de la peinture. Sinon elles sont singulières selon comment elles vous paraissent à vous-même. Vis-à-vis de mes tableaux je suis un spectateur comme un autre.
Vous avez souvent dit que vos débuts et donc votre période du Nouveau Réalisme ont été une erreur de jeunesse. Comment pouvez-vous expliquer cela ?
Parce que le Nouveau Réalisme… Je vous ai parlé plus tôt de Cézanne, tout ça… Si vous voulez, l’art contemporain et l’art moderne c’est une rhétorique. Chaque artiste s’autorise celui qui l’a précédé. C’est exactement la définition littéraire de la rhétorique. Or, la plupart des historiens d’art ne connaissent rien des problèmes littéraires, ils ne savent même pas ce que c’est qu’une rhétorique. Donc l’art moderne et l’art contemporain c’est une rhétorique. C’est-à- dire que si on en enlève un, tout s’écroule. Donc le Nouveau Réalisme m’a fait perdre du temps parce que si au lieu de rencontrer Yves Klein ou Marcel Duchamp…. Marcel Duchamp je pourrais en parler longuement d’ailleurs. À la fin de sa vie il dessinait très figurativement et il voulait m’encourager à ce que je fasse de la peinture. On ne montre jamais les dessins de Marcel Duchamp et je peux vous assurer qu’à la fin de sa vie il dessinait. Quand je l’ai quitté la dernière fois à New-York en 1968 parce que je rentrais pour la révolution, il m’a dit : « mais regardez Martial ce que j’ai ! », il y avait une quinzaine de crobars assez soignés figuratifs et il m’a dit : « Tu as raison, continue, va de l’avant avec la peinture ». Donc si vous voulez, dans l’art contemporain il n’y a pas d’émotion, ça ne raconte rien, ça n’aide pas les gens à vivre. Tous ces gens-là ont banni l’émotion. Ils ne le savent pas, mais c’est un reflet de l’idéologie dominante dans le monde des arts. Si on n’a pas d’émotion on est prêt à accepter tout, donc on achète sans réfléchir et on peut vous vendre ce qu’on veut. C’est comme l’histoire du Coca-Cola, les gens voient des choses bêtes à la télévision, ils ne réfléchissent pas et boivent du Coca-Cola. C’est ça l’art contemporain. Je pense que la peinture c’est un langage. Le jour où on a compris ça, il faut apprendre ce langage comme on apprend le japonais ou l’allemand, et une fois que vous connaissez bien le langage et la syntaxe, vous pouvez créer, ou du moins vous pourrez parler avec liberté. Voilà pourquoi je suis devenu peintre et que j’apprends de plus en plus des maîtres. En plus c’est un bonheur intense de voir comment les grands maîtres ont procédé et ainsi d’entrer dans leur travail.
Vous pensez que pour un artiste c’est plus fort que lui de revenir à la peinture ? On sait que beaucoup d’artistes sont revenus à la figuration comme vous, Vincent Bioulès ou d’autres…
Bien sûr ! C’est naturel ! Tout le monde y viendra ! Du reste aujourd’hui il y a énormément de jeunes peintres qui font de la figuration… mais malheureusement, au lieu d’aller vers les maîtres, ils regardent sur Internet comment faire une tête… comment faire un pied… comment faire un costume… Mais ce sont les mauvais peintres qui apprennent ça ! Si vous voulez, c’est juste faire les contours. La peinture c’est tout à fait autonome. La peinture, ce sont les couleurs qui font l’amour avec les couleurs. Ce sont les passages, la finesse… Ce n’est pas autoritaire la peinture. C’est tout en douceur, c’est une recherche de l’harmonie. Ce n’est pas une recherche d’un coup-de-poing pour épater le public ! Non ! C’est juste quelque chose de très humble qui se présente en disant : « voilà ce que je pense, voilà ce que j’aime, ce que je vous conseille de faire ». C’est une leçon d’humilité la vraie peinture. Regardez Vermeer… je ne sais pas si vous connaissez Hammershøi… Si Vermeer revenait aujourd’hui, il peindrait comme Hammershøi. C’est un peintre sublime, c’est d’une tendresse, d’une pureté, d’une retenue absolument merveilleuse. Je recommande aux gens qui m’écoutent de s’intéresser à Hammershøi. C’est merveilleux, ça vaut le voyage au Danemark. C’est absolument sublime, c’est aussi bien que Vermeer, c’est peut-être mieux encore parce qu’il y a une odeur d’aujourd’hui.
La peinture a longtemps été boudée et on a l’impression qu’il y a un retour à cette pratique. Percevez-vous cette tendance ?
Bien sûr, c’est comme dans la société, petit à petit on va revenir aux bonnes vieilles méthodes, parce que les nouvelles méthodes que l’on a inventées ne marchent pas. Les gens s’ennuient avec ce qu’on présente voyez-vous. Les gens sont terriblement inquiets à part ceux qui gagnent leur vie avec ça, ce qui fait déjà un certain nombre de gens… Mais c’est la peinture qui fait marcher le CAC 40 maintenant, ce sont les placements qu’on a faits dans la peinture. Donc si vous voulez, ça fait un gros mouvement de monde, mais c’est un château de paille. La vie des gens est de plus en plus difficile, par le principe même du réchauffement climatique ou autre… et les gens ont besoin de vérité. Et la peinture c’est la vérité ! Ca ne bluffe pas, ça ne raconte pas d’histoires. La plupart des peintres depuis cinquante ans, c’est comme s’ils étaient des pianistes qui feraient des variations sur Chopin. Ils font des variations sur Duchamp, variations sur Koons, variations sur je ne sais pas qui… Ils jouent des variations ! Ils ajoutent leur petit truc à la doxa vous comprenez ? Mais c’est de la rigolade, c’est pour les imbéciles ou plutôt ceux qui en vivent. Vous savez qu’il y a des statistiques des gens qui visitent les galeries d’avant-garde à Paris et soixante-dix pourcents sont des anciens élèves des Beaux-Arts qui ont trouvé un autre métier mais qui restent attachés à la pratique artistique. Soixante-dix pourcents ! C’est authentique ! Donc si vous voulez, la vérité c’est que… vous le vivrez vous… dans même pas trente ans on arrivera à la peinture et à la vérité ! C’est tout !
Je me permets une question un petit peu plus personnelle car j’ai vécu dix ans à Nîmes…
C’est bien ce que j’ai fait hein (rire) ? (Sous l’impulsion du maire Jean Bousquet, l’artiste a réalisé deux fontaines à Nîmes : la fontaine « crocodile » sur la place du marché en 1987 et celle de Nemausus et Nemausa sur la place d’Assas en 1989, ndlr)
Je ne peux pas vous dire le contraire car la place d’Assas est un de mes endroits préférés de la ville. Aujourd’hui il y a une rétrospective de vos œuvres achetées par le Carré d’art. Vous êtes attaché à cette ville ?
Oui je suis attaché. J’aime beaucoup Nîmes et j’aimerais y retourner souvent, mais maintenant je suis très âgé, assez malade et le travail que j’ai dû faire pour faire ces grands tableaux, très grands, ça a été un travail énorme ces quatre, cinq dernières années… Les gens n’imaginent pas. Monter à trois mètres de haut… descendre… regarder … remonter … Je suis quand même très âgé et malade, donc malheureusement je n’ai plus la liberté de faire ce que je veux… Mais je fais mon bon salut à Nîmes. C’est une ville que j’aime beaucoup, elle est magique.