Dans notre numéro 20 (septembre-octobre 2024), je donnais la parole à Marie Féménias qui s’apprêtait à ouvrir son exposition Le tonnerre monte doucement dans les hauteurs du monument à l’Abbaye de Fontfroide.
J’ai eu la chance de rencontrer Marie assez vite durant son parcours aux Beaux-Arts, ce qui m’a permis de découvrir son univers marqué rapidement. Très sensible à la nature et grande défenseuse des animaux, elle parvient à placer ses convictions dans ses créations sans qu’elles ne prennent le dessus sur la forme. Dès sa formation à l’Esba – Mo.Co, Marie est parvenue à concevoir des pièces saisissantes, comme son Regard(s) (installation d’un renard empaillé avec un téléphone portable sous son front diffusant un regard humain), ainsi que ses Super Paysages ou ses Humamaux qui annonçaient déjà un attrait pour la peinture.
Marie Féménias a donc été sélectionnée après ses études sur un appel à projet à l’Abbaye de Fontfroide. L’une des spécificités de son travail est sa volonté de s’inspirer des espaces dans lesquels elle va exposer, en particulier en s’intéressant à la confrontation entre architecture naturelle et l’architecture humaine. La plasticienne a découvert qu’il y avait des ânes présents pour entretenir le massif et que les vitraux réalisés par Richard Burgsthal sont une représentation d’un conte de Flaubert qui parle des forces de la nature. Tous ces éléments ont parlé à Marie, notamment la forme du conte. Dans ses créations, elle fait très souvent le choix du narratif, nous invitant à découvrir une histoire. Cette volonté est due à une passion pour la fiction, que cela soit dans la littérature ou dans le cinéma de genre, comme elle me le disait dans l’interview : « je suis très inspirée par la littérature, notamment la science-fiction des années 1970-80-90 avec des auteurs comme Philip K. Dick ou Frank Herbert. C’est un genre qui m’attire parce que c’est une manière passée de parler du futur. Le cinéma c’est arrivé un petit peu plus tard, pendant mes études quand j’ai commencé à faire de la vidéo. Maintenant c’est très important pour moi, l’image et sa construction, comment elle peut influencer l’histoire… Je regarde beaucoup de choses différentes. » Ainsi, Marie s’est approprié ces éléments du lieu et a écrit un récit, comme une sorte de Peau d’Âne néo-féministe. Cette histoire est le point de départ de son exposition, les autres œuvres ayant découlé de celle-ci. Les visiteurs peuvent découvrir une adaptation vidéo de ce récit qui montre que l’artiste est bien plus cinéaste que vidéaste… Ce film de fiction très bien travaillé montre à la fois la beauté du lieu et la capacité de la plasticienne à faire plonger le spectateur dans son histoire avec des plans d’une grande intensité, provoquant successivement la peur, la douceur ou la violence. La scène de la danse est particulièrement belle. Seul bémol, le discours sans nuances qui accapare les dialogues et qui dirige le film vers une forme d’engagement absolu que l’artiste parvient généralement à éviter.
J’ai une sensibilité particulière pour les peintures à l’huile exposées. Elles sont inspirées par des copies de copies de grandes scènes de chasse extrêmement violentes et présentes dans un salon de l’abbaye. L’artiste à fait le choix de les reproduire en resserrant les personnages et j’ai intervertissant les têtes : les animaux ont des têtes humaines et les humains ont des têtes d’âne. Autre pièce forte de l’exposition, le costume qui a servi dans le film avec le crâne et la longue cape.
L’univers de Marie Féménias est immédiatement reconnaissable malgré une grande diversité de supports. Cette exposition est un marqueur important pour l’artiste car elle symbolise le début d’un discours et d’une construction esthétique. La cohérence de Le tonnerre monte doucement dans les hauteurs du monument, la modernité de son propos, la richesse des influences de sa conception ainsi que son aboutissement général affirment un point de vue qui mérite d’être exprimé et qui s’inscrit parfaitement dans la création contemporaine actuelle.