Avant d’arriver dans le monde de l’art, tu étais chanteur…
Exactement. J’écrivais des chansons, puis j’essayais de les présenter à toutes les maisons de disques. A un moment donné, il y a RCA qui a accepté ce que j’écrivais. RCA avait cet avantage, par rapport à beaucoup de maisons de disques, ils étaient très chansons françaises, ce qui m’a facilité les choses. J’avais environ vingt-cinq ans. J’ai fait quatre albums et des quarante-cinq… En dehors de ça, je tournais, j’avais quatre musiciens. Je tournais en France, puis à l’étranger… L’idée de la peinture m’est venue en allant dans chaque ville où je me trouvais. Pendant la balance, quand le technicien règle le son avant le spectacle, j’étais un peu libre l’après-midi et j’allais voir les galeries. J’achetais de temps en temps de la peinture, parce qu’il y a cet intérêt, mais à un moment donné on a envie d’avoir. C’est magnifique d’avoir cette envie, c’est une rencontre, se dire : « j’ai envie d’avoir ça chez moi ». C’est égoïste d’ailleurs, parce qu’après c’est fini, on n’est pas musée et il n’y a que nos proches qui voient le travail que nous avons acquis. Donc j’achetais de la peinture, j’ai continué la chanson assez longtemps, puis RCA s’est fait racheter par Sony, tout le monde a été viré, les directeurs artistiques, les artistes… J’avais encore un album qui devait être enregistré chez RCA. Je suis donc allé voir Pathé-Marconi et EMI qui m’ont pris aussi avec un 45. J’avais un directeur artistique que j’aimais vraiment beaucoup, je le connaissais pas bien, mais on s’appréciait vraiment. Malheureusement il est décédé et je n’avais plus de directeur artistique chez EMI. Il était avec Barbelivien, avec Charles Tallard… qui s’est longtemps occupé du PSG d’ailleurs pour faire un lien avec l’actualité. Bref, recommencer le combat, c’était trop difficile. Il y a un enjeu financier énorme pour faire un trente centimètres pour les musiciens, pour les studios… A chaque fois la difficulté c’était le financier. Il fallait qu’on rapporte un peu d’argent, c’est trop difficile. Déjà c’est difficile d’écrire des chansons, d’être content de soi sur douze titres, c’est pas si simple que ça… Donc j’ai arrêté. En même temps, j’avais un ami qui était dans la communication, donc j’ai fait un peu de communication, on avait fait une grosse exposition Dali. Après ça m’a plus intéressé… donc j’ai arrêté. Puis j’avais une amie qui avait une galerie rue Visconti, qui me dit « viens t’installer à côté de moi, il y a des trous partout ». Rien ne marchait, tout s’effondrait, il y avait beaucoup de boutiques à louer. On s’est arrangé avec la mairie de Paris et j’ai cette galerie depuis près de trente ans.
La peinture, la sculpture, l’art en général… c’est quelque chose qui t’intéressait très jeune déjà ou c’était avant tout la chanson?
C’est quelque chose qui ne m’a pas intéressé très jeune. Ce qui me passionnait c’était effectivement plus la chanson ou le théâtre. C’est venu un peu plus tard. J’ai eu un grand-père qui était de Massa-Carrara – là où on trouve le marbre de carrare – qui était sculpteur. Son père était aussi sculpteur… Mais je n’en parlais jamais avec mon grand-père. Je vivais avec mes grands-parents, mais on ne parlait pas de ça. Est-ce que malgré tout ça m’a donné le goût ? J’en sais rien du tout.
Donc c’est plus à l’occasion des tournées quand tu étais chanteur que l’art est réellement venu à toi et que tu t’es créé une sensibilité artistique ?
Plutôt oui. J’allais aussi en salle des ventes. Je regardais ce qu’il se passait, ce qui se faisait… C’est passionnant aussi ça ! Pour se faire l’œil c’est quelque chose de formidable. Dans ce bric-à-brac, il y a des choses magnifiques ! Puis j’ai eu cette galerie en me disant que je n’allais pas faire cinq ou six artistes dans le même espace, bien que j’ai deux niveaux… mais je voulais montrer un artiste seul à chaque fois. Dans la peinture, il y a du hasard, vraiment. Je reçois pas mal de choses, je vois des choses magnifiques et quand ça m’intéresse, je vais voir. Malheureusement, souvent je suis déçu. Beaucoup travaillent bien, mais faire un truc exceptionnel, il n’y en a pas beaucoup qui sont capables de le faire. Donc je fais des expositions avec un seul artiste, entre vingt-cinq et trente tableaux… Les gens aiment ou n’aiment pas, c’est comme ça.
Est-ce que la Galerie GNG a une ligne artistique ?
Dès le début, je n’avais pas de ligne artistique particulière, j’aime tout ! C’est embêtant d’ailleurs… Que ce soit l’abstrait, le figuré, art brut… Tout m’intéresse et c’est un vrai problème. Mais je suis content de ne pas avoir de ligne.
Tu te souviens de ta première exposition à la galerie ?
Oui ! C’est une artiste finlandaise. Un travail très doux, très beau… Des aquarelles magnifiques.
Aujourd’hui tu as d’autres artistes, est-ce que tu peux nous en présenter quelques-uns rapidement ?
Bien sûr ! Il y en a un qui est accroché en ce moment qui s’appelle Roland Devolder, qui est un artiste Belge, très grand dessinateur. J’ai aussi Guy Ferrer qui fait des sculptures. Yannis Markantonakis, qui est un artiste crétois. Son obsession c’est les bateaux, les tankers, des choses comme ça… Il est fils et petit-fils d’armateurs, donc il sait de quoi il parle. Ses créations deviennent abstraites, ce ne sont plus des bateaux, ça devient autre chose. J’ai aussi une artiste turque qui s’appelle Nurcan Giz, qui elle est totalement abstraite. C’est la difficulté pour les artistes abstraits, ça paraît plus difficile que de la figuration parce qu’ils ont rien, c’est blanc et on tape la dedans… On met des sentiments. Elle me dit que certains jours elle a commencé un tableau, elle rentre le lendemain elle est en colère, le surlendemain ça va mieux et c’est beaucoup plus doux… C’est une superposition de sentiments. C’est ça qui m’intéresse le plus dans l’abstraction. Mais de beaux abstraits, c’est difficile à trouver ! Des bons figuratifs, il y en a beaucoup, mais des bons abstraits, c’est très difficile. Quand on voit que ce sont des sentiments qui se superposent les uns sur les autres… C’est un reflet de notre vie l’abstraction. On n’est jamais identique et la peinture abstraite n’est jamais identique non plus. L’autre problème pour les artistes abstraits, c’est de savoir s’arrêter aussi. A quel moment on s’arrête ? Le rapport avec les artistes, c’est magnifique. Il y en a qu’il faut apprivoiser et il faut qu’ils m’apprivoisent aussi (rire). Sur le chemin, j’ai dû me séparer de quatre artistes. Certains ne voulaient plus continuer et d’autres me proposaient des choses qu’ils avaient fait, refait, rerefait… Soit ça progresse, soit ça progresse pas et il faut un renouvellement. Je travaille aussi avec Anouk Grinberg, elle n’a pas ce souci-là. Il y a ses déchirures, sa poésie… tout ça. Il n’y a jamais la même exposition, jamais le même tableau.
Tu es installé à Saint-Germain-des-Prés qui est un quartier emblématique de Paris et où se trouvent de nombreuses galeries. C’était un choix pour toi de t’installer ici ?
Pas du tout ! Je ne savais pas du tout où j’allais aller. Je n’y allais pas spécialement souvent non plus. Il y a une ambiance superbe dans ce quartier-là. Les gens vont souvent rue de Seine, mais c’est les grands boulevards rue de Seine. La rue Visconti c’est une toute petite rue, superbe, étroite… Le premier événement que fait Christo, c’est rue Viconti ! Il y a installé des bidons d’huile superposés et il bloque la rue. Quand il a fait une exposition rétrospective au Centre Pompidou, il a montré le courrier qu’il avait envoyé aux gens qui étaient là pour leur signaler qu’il allait bloquer la rue. Les gens ont accepté, ce qui est magnifique ! C’est une rue qui a une histoire. Racine est mort au bout de cette rue… On l’appelait la rue des marais, on peut le voir au bout. La Seine débordait et ça devenait marécageux. Avec les gens de la rue, on voudrait faire une exposition avec ceux qui ont peint, qui ont créé ici. Il y a des œuvres qui sont au Louvre qui ont été réalisées ici ! Beaucoup avaient des ateliers, c’était peu cher, pauvre… Quand je suis arrivé c’était d’une pauvreté incroyable.
Tu participes à la foire Moderne Art Fair, qu’est-ce que tu vas présenter ?
Je présente Guy Ferrer, ses peintures et ses sculptures. Comme à la galerie, je ne mélange pas les artistes pour les foires, je n’en présente qu’un. C’est une part de risque, moi je la trouve minime cette part de risque parce que les gens aiment ou pas. Soit ils entrent, soit ils tournent la tête et continuent.
Est-ce que tu as vu une évolution de ton métier en trente ans ?
Non. Le système est toujours pareil. Il y a les enseignes comme on dit maintenant, puis les galeries intermédiaires, comme moi ou comme beaucoup. On est tous galeristes mais certains sont des grosses machines de guerre et on ne fait pas le même métier. Il y en a qui font du classique, d’autres du meuble contemporain… Tout est une galerie, mais il faut parvenir à les dissocier les uns des autres. C’est aussi la richesse de ces rues-là ! Dans le quartier, il y a cinq ou six rues où on trouve cent-vingt galeries de tous les styles, tout ce qui se fait… Quand je suis arrivé il y avait beaucoup de peinture. Après, quand le Musée Jacques Chirac est arrivé, il y a eu beaucoup d’art primitif. Maintenant, c’est beaucoup de meubles contemporains et de décoration.