Est-ce que tu peux nous présenter cette exposition « Memory Rooms » ?
C’est une exposition qui a été pensée autour de la question du souvenir. C’est une question qui est importante pour moi, le souvenir fait partie des éléments qui me traversent au quotidien. L’exposition s’est construite autour d’un ensemble de tableaux. Chaque pièce est un de mes souvenirs, réel ou transformé. Je pars du principe que l’accès au souvenir est de base transformé. On ne se souvient jamais d’un moment de la manière la plus fidèle possible. Ils apparaissent dans la mémoire avec une sorte de voile, comme un élément mouvant. Certaines peintures se rapprochent au plus près de la fidélité car elles sont issues de photographies et d’autres sont plus romancées volontairement. Dans ce cas, je vais mettre un élément qui vient directement d’un souvenir et tout le reste est « romancé » ou « inventé ». En miroir, d’autres toiles sont vraiment issues d’un souvenir physique à travers une photo ou une scène marquante.
Tes toiles sont très solaires, on pense à la Méditerranée, au sud de la France, à l’Italie, à l’Espagne…
J’ai eu la chance de passer beaucoup de temps dans le sud et notamment en Espagne. Il y a une sorte de mysticisme chromatique que j’adore dans toutes les couleurs de la Méditerranée. C’est quelque chose que je vais essayer de retranscire avec ma palette.
Il y a ce côté ultra référencé que tu ne caches pas dans tes toiles. On voit des références au cinéma, à la littérature… On a l’impression que tu as absorbé ces références et que tu as besoin de les ressortir pour définir ta personnalité. Comme si elles étaient des parts de toi.
Je consomme beaucoup de livres, que ce soit des catalogues raisonnés, des catalogues généraux, de la littérature… Je regarde beaucoup d’images… ça me permet de me placer dans un continuum, de faire référence à ces personnes-là… Je crois aussi qu’on apprend en regardant et je distille toutes ces références qui me nourrissent et j’essaye de proposer quelque chose qui me soit propre.
Tu parlais du souvenir avec ce voile qui transforme une certaine réalité : bien que l’on se remémore le souvenir, il a forcément été transformé. J’ai l’impression que tu retranscris ce phénomène en représentant l’intérieur et l’extérieur, comme une allégorie. Les démarcations sont à la fois identifiables et floues entre le dehors et le dedans, entre le rêve et la réalité… Il y a un côté un peu « de l’autre côté du miroir »…
C’est intéressant… Je n’y avais pas vraiment pensé, mais c’est bien vu. Les ouvertures permettent de couper l’espace et ça soustrait une partie de l’image et ça lui rend honneur car c’est un cadre dans un cadre. Cela permet de mettre en scène l’espace.
Toujours dans cette idée d’ouverture, les posters, affiches ou cadres que tu peints semblent devenir des ouvertures.
J’aime bien quand on peut accéder à plusieurs niveaux dans la peinture. De base, c’est un support qui est très frontal, plat… Créer des espaces dans des espaces entre dans une logique de poupées rousses. C’est rajouter de la profondeur dans la peinture en donnant des éléments qui peuvent apporter une narration par les films, les livres… Il y a un dialogue que se crée tout le temps.

Durant ton processus de création, es-tu dans le calme ?
Non (rire). J’écoute beaucoup de livres audio, de podcasts autour de la philosophie… Parfois, je m’arrête, je vais noter des phrases qui m’inspirent, des références de bouquins… Je suis souvent dans un va-et-vient entre peinture et écriture. C’est un peu tout en même temps. J’écoute aussi de la musique car j’ai besoin d’une puissance évocatrice.
C’est à la fois révélateur et paradoxal, car on imagine que ces phrases que tu notes et cette musique que tu entends influencent la toile et en même temps tes tableaux sont très silencieux.
Je parle souvent de « poésie muette ». On peut dire beaucoup de choses sans être dans le criard et l’enjeu c’est de suggérer des choses. J’aime bien le fait qu’il n’y ait pas spécialement de psychologie car on n’a pas de personnages, donc on ne va pas se questionner sur le pourquoi du comment. On a plutôt la trace d’un passage, une atmosphère… C’est plus facile pour le regardeur de se projeter dans la peinture. Il n’y a pas un corps qui vient recevoir sa projection.
Tu viens de dire que la figure humaine est absente physiquement, mais pourtant elle existe puisqu’elle laisse des indices. Ce personnage absent/présent, c’est toi ?
Oui c’est moi. C’est comme un jeu de piste. Il y a toujours un petit peu de moi tout le temps.
Memory Rooms
Galerie Sobering
Jusqu’au 11 décembre 2025


