Vous travaillez dans trois ateliers à Paris, Grenoble et Montpellier, comment vous êtes- vous retrouvé à pratiquer dans ces trois villes ?
J’ai fait l’école supérieure d’art de Grenoble de 1998 à 2003. J’ai comme professeurs Ange Leccia, Jean-Luc Moulène, Martine Aballéa, Gianni Motti… qui étaient des artistes internationalement connus. À la fin de mes études j’ai eu la chance d’avoir une résidence à la cité internationale des arts en 2004 après une première exposition à la Nouvelle Galerie à Grenoble, qui était une petite galerie vraiment formidable. Puis débute le parcours d’un jeune artiste, rencontrer les commissaires d’exposition, faire mes premières expos… j’en ai fait une au Frac Champagne-Ardenne en 2004 ou 2005. Je suis arrivé à Paris, je commence à rencontrer des gens, à exposer, des premiers achats, une commande pour Hermès en 2006… En 2005 j’ai eu une première exposition à la
Vous avez une pratique toute singulière, en série, avec des techniques spécifiques. Pouvez-vous nous en parler ?
Ce sont toutes des pièces uniques qui sont réalisées en série. Il y a différentes séries… Enfin… il y a une thématique entre la tension entre l’abstraction et le paysage pour les Ink Mountains ou les Silver Mountains. C’est apparu en expérimentant dans des petits bacs à glace pour des ventes caritatives au profit de la lutte contre le sida dans la galerie Yvon Lambert, donc c’est vraiment parfois des hasards d’expérimentations. J’ai aussi eu un parcours vidéo assez important où j’ai montré pas mal de choses dans les musées, les centres d’art, y compris à l’étranger… mais j’ai toujours fait de la peinture et du dessin à côté. À partir de ce moment-là, cela s’est un peu amplifié, quand j’ai fait une première série qui s’appelait les Winter Dreams que j’ai vendue au Fmac (fonds municipal d’art contemporain) de Paris et qui ont été montrée au Petit Palais. Il y a parfois eu des moments d’accélération, de focus sur un travail. Ces Winter Dreams ont été aussi achetés par des collectionneurs privés et j’ai eu une première exposition personnelle assez importante à Amiens où j’ai montré tout un ensemble de peintures et de vidéos. Déjà c’était les questions du paysage et de l’abstraction avec des processus notamment de raclage de peinture qui mélangeait le raclage et le dripping de peinture. Dans une étape antérieure il y avait des touches de peintures et un dripping à la Jackson Pollock et un raclage un peu comme Richter ou même Soulages. Et donc ça venait, par un processus qu’on pourrait dire mécanique et aléatoire en même temps, générer une image de type paysager à partir d’une abstraction de matière. Ce qu’on retrouve aujourd’hui dans mes Ink Mountains notamment avec ces bains qui sont des lavis d’encres, pour lesquels j’utilise des pulvérisations de peinture acrylique à la bombe qui je viens déposer à la surface du bain. Ce sont mes gestes qui permettent par la manipulation du support de récupérer la matière afin de dessiner avec elle et d’accompagner cette vague de matière et la peinture qui vient se reporter par la souplesse, à la fois du support mais aussi de la vague, mais aussi la question de la pulvérisation qui vient créer des effets atmosphériques… la qualité des gestes aussi est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur avec cet aspect performatif, presque chorégraphique. Les gestes sont une sorte de danse avec le papier et qui vient générer ces motifs, ces fluctuations de la matière, ces transformations plus ou moins souples, ces sortes de dilatations, d’épanchements… C’est une sorte de façon de peindre nouvelle que j’ai inventée et qui dérive ou qu’on pourrait rapprocher des papiers à la cuve, sauf qu’il y a une différence processuelle car je travaille dans l’instant et perpendiculairement à la ligne de flottaison des matières.
Combien de temps mettez-vous pour réaliser une œuvre de chaque série ?
C’est assez rapide, de quelques secondes à une minute. Une œuvre de type Ink Mountains ou Silver Mountains ça se crée vraiment dans l’urgence. C’est aussi lié à l’urgence de circulation des matières. Il faut répondre à cette circulation, utiliser cette fluidité au maximum de son potentiel dans la quête d’une image qui soit assez figurative. D’où vient l’aspect un peu performatif de parvenir à quelque chose de proche du photographique avec cette série-là.
Vous avez également travaillé sur une série qui s’appelle « les écritures »…
Oui c’est une nouvelle série qui a moins de deux ans. J’ai eu toute une période durant laquelle j’ai beaucoup exploré ce travail dans mes différents ateliers à Paris, Montpellier et Grenoble. Cela a été filmé pour le film d’Arte L’atelier A, on m’y voit travailler cette série. Ce sont des pipettes d’application de produits cosmétiques ou de cuisine moléculaire avec lesquelles je viens déposer des gouttes d’encre de façon à répéter avec une sorte de structure qui peut être géométrique ou complètement aléatoire. Je viens alors saisir la feuille de papier qui est au sol par un côté et basculer l’encrage de façon à ce qu’il s’épanche. Je viens soulever la feuille de papier et créer une rotation qui vient faire s’écouler l’encrage et toutes les différentes gouttes se vident, se rencontrent et viennent générer ces motifs qui sont une sorte d’interpénétration des encrages. Ces encrages viennent créer des nouveaux vaisseaux, des nouveaux affluents… Il y a comme ça cette espèce de création d’un motif plus complexe, qui est lié aux paramètres physiques de la viscosité de l’encrage, de sa fluidité et cela va jusqu’à l’épanchement complet de ces encrages sur les bords de la feuille de papier et donc recouvrir toute la surface par les différentes rotations que je fais subir au support. C’est très salissant comme travail mais c’est assez amusant de tenir dans cette rythmique avec un côté une nouvelle fois performance. Comment on peut accompagner la goutte afin qu’elle génère un dessin qui est plus ou moins musical, harmonieux, chaotique… Il peut y avoir des accidents… C’est une série qui m’a beaucoup intéressé et que je vais probablement prolonger. Mais je fais beaucoup de choses en même temps, donc il y a des cousinages, des hybridations d’une série vers une autre. Il m’arrive de réinterroger des séries antérieures avec des apports nouveaux. Cela peut être des nouveaux papiers, des nouvelles peintures, des nouveaux instruments…
Ce qui est paradoxal dans votre travail, c’est qu’il se fait dans l’urgence, alors que la période d’expérimentation doit être très longue ?
L’expérimentation vient en faisant. C’est vraiment en faisant les œuvres qu’on se dit « j’ai quelque chose de nouveau », « j’ai une nouvelle idée qui arrive »… Comment cela vient compléter le corpus existant, comment cela vient compléter une série ou pas. Parfois cela va même modifier quelque chose qui était pourtant bien. Je produis beaucoup, j’élimine beaucoup d’œuvres qui seraient ratées ou qui ne me satisfont pas d’un point de vue esthétique, qui vont avoir une dysharmonie dans la structure. Il y a parfois aussi une conservation d’œuvres qui sont à mi-chemin, qui me font m’interroger et parfois m’amène à autre chose.
Quel est le rôle de la couleur dans votre travail ?
J’ai eu longtemps l’image d’un peintre noir et blanc et j’étais un peu frustré par ça car j’ai toujours travaillé la couleur . Venant d’une famille de maîtres verriers, j’ai grandi dans un atelier où l’on faisait des vitraux et j’avais le nuancier de couleurs. C’est quelque chose que j’ai beaucoup regardé et qui me questionne aujourd’hui sur mon travail de la couleur et comment l’aléatoire peut intervenir dans des sélections colorées. Comment des bains de couleurs ou des encrages peuvent se transformer à travers différentes étapes de dilution. Comment un affadissement de couleur peut générer quelque chose d’intéressant. Comment passer des couleurs chaudes aux couleurs froides. C’est quelque chose que j’aime interroger en parallèle du noir et blanc, et qui peut sembler très différent. On dit parfois que mes expositions personnelles ressemblent à des expositions de groupe (rire), mais ça me plaît. On peut alors s’interroger sur l’unité de mon travail. Il y a cette constante des gestes, de l’aspect performatif, le fait de ne pas utiliser d’outils traditionnels de dessin…
Quelles sont vos influences ?
J’ai passé beaucoup de temps au Musée de Grenoble quand j’étais adolescent, et j’ai beaucoup vu les Matisse… la peinture américaine… Morris Louis aussi qui est un peintre de la couleur… Bernard Frize aussi qui est un peintre que j’aime beaucoup… Gérard Traquandi est un artiste de Marseille que j’aime beaucoup. On pourrait parler de Brice Marden aux États-Unis qui m’a plus influencé sur une dimension expressionniste. Ou Wolfgang Tillmans, qui est un photographe allemand qui vit entre Berlin et Londres, m’a beaucoup influencé sur ses couleurs plus subtiles. Il fait de la photographie sans objectif parfois dans son champ abstrait et les couleurs de ces photographies abstraites ont un point d’origine pour mes Waterfalls. C’est un artiste que j’adore et que j’ai eu la chance de rencontrer lors de sa rétrospective en 2002 au Palais de Tokyo. Il a fait une très belle exposition à Carré d’art de Nîmes il n’y a pas très longtemps.
Vous êtes également professeur à l’école des Beaux-Arts de Montpellier, une partie de votre travail qui fait appel à la pédagogie. Quel genre de professeur êtes-vous ?
J’essaye de donner envie aux jeunes de produire de l’art, d’essayer d’être au mieux dans leur identité, de travailler à ce qu’ils ont vraiment envie de faire et comment ils peuvent nourrir le champ de l’art. Je leur donne beaucoup de références, de modèles… de hiérarchiser aussi, ce qui est quelque chose qui n’est pas vraiment propre à l’époque. Ils baignent dans une culture du numérique, notamment avec les réseaux sociaux, sans vraiment distinguer qui est à l’origine d’une image qu’ils ont regardée. C’est aussi important de replacer des choses qui sont dans les musées, dans les collections publiques. Je leur montre beaucoup de catalogues, des livres… Cela leur provoque des découvertes. Après je suis aussi partisan du « c’est en faisant que vous allez apprendre ». Je peux donner des conseils plus facilement quand un étudiant est en train de travailler, ça dépend vraiment ce qu’il est en train de travailler. J’ai des compétences en vidéos, en installations, en sculptures… donc on peut aussi totalement s’adapter au projet de l’étudiant. Pour les 3e année j’ai également un cours sur le marché de l’art, sur les grandes figures des collectionneurs… Je pense que mon expérience d’artiste vient nourrir ma pratique d’enseignant. Je leur parle beaucoup d’artistes que je collectionne car j’ai également cette activité de collectionneur. C’est une importante source d’informations pour moi. Je collectionne principalement par échange. Cela permet des rencontres, des visites d’ateliers… Lorsque j’étais étudiant, j’ai été confronté à des modèles qui étaient des artistes en activité et ils parlaient de leur expérience.